Je ne serais sans doute
jamais venue dans les îles Baléares si on ne m'avait pas parlé des Fêtes de la
San Joan à Minorque et vanté les charmes de cette île.Minorque a la réputation
d'être l'île la plus préservée du tourisme de masse contrairement à ses
voisines, Majorque et Ibiza. Avec 702 kilomètres carrés, 48 kms d'Est en Ouest
et 20 kms dans sa plus grande largeur, Minorque est la seconde en superficie
(tout en étant six fois plus petite que Majorque) des sept îles que compte
l’archipel méditerranéen. La population de Minorque en basse saison est de
87.000 habitants. Un nombre qui peut tripler en période estivale.
Le culte des chevaux
La Saint-Jean est fêtée
partout en Espagne, mais celle de Minorque est très célèbre car c'est aussi la
fête des chevaux, en particulier à Ciutadella, cité historique, deuxième ville
de Minorque. Cette tradition remonte au Moyen-Age et garde encore toute son
authenticité. Les festivités peuvent durer cinq jours.
Minorque est le territoire
espagnol qui compte le plus de chevaux par habitant ; c'est un vrai paradis
pour les amateurs de randonnées équestres. Autrefois, le cheval permettait de
surveiller les 220 kilomètres de côtes de l'île, sur le chemin des chevaux (cami de cavalls). Il était aussi utilisé
pour les travaux des champs. Les chevaux noirs de pure race minorquine ne
craignent pas la foule ni ses hurlements. Ils sont aussi connus pour leur
élégance. Et que dire de celle de leurs cavaliers !
Dans la vieille ville de
Ciutadella, j'ai plaisir à jouer à cache-cache avec le soleil dans les rues
étroites, en longeant les façades de pierres blanches ou colorées. Découverte
de superbes bâtiments et promenade tranquille dans quelques ruelles désertes...
qui ne vont pas le rester longtemps ! Depuis la veille déjà, la cérémonie
traditionnelle a commencé. La “Junta des Caixers” représente toutes les couches
sociales de la société (noblesse, clergé, paysans, artisans...). Un bel agneau
paré de rubans et de croix de Saint-jean peintes est présenté à la maison du
Maire et à l’Echevêché puis à toutes les catégories de la Junta.
Le 21 juin, la musique
envahit Ciutadella avec des groupes modernes ou traditionnels. Jotas et
sardanas sont dansées, accompagnées des guitares. Sur chaque placette ou dans
les carrefours, des feux de la Saint-Jean sont allumés à la nuit tombée. Les
plus téméraires sautent par-dessus les flammes et les braises.
Viva la fiesta ! Celle
de Ciutadella est également connue pour ses bousculades. Le 22 juin, un
cavalier monté sur son âne vient demander au “Caixer Senyor” l'autorisation de
débuter la fête avec les chevaux. Sans y prendre garde, la rue étroite se
remplit peu à peu de monde. Impossible de bouger. Pendant la longue attente
sous le soleil, la foule chante souvent en se balançant ce qui crée une énorme
vague. Chacun s'accroche à son voisin et il est préférable de garder le même
rythme pour ne pas tomber ou étouffer ! Le cavalier et son âne parcourent
ensuite les rues pour annoncer les festivités au son de la flûte et du tambour.
Les commerçants, quant à
eux, ne sont pas du tout à la fête ! La ville semble en état de siège avec
ses vitrines barricadées, les sols jonchés de cartons, les tables et chaises
pliées. Ciutadella si impeccablement propre quelques heures plus tôt, s'est
transformée en plage avec ses rues couvertes de sable.
Le jour suivant, les
caballeros en uniformes paradent dans la ville. La foule excite les chevaux
avec des “olas” pour les faire se cabrer. Le jeu est de toucher ou de caresser
les chevaux, mais attention aux ruades ! Et les chevaux viennent parfois
vous saluer d'un peu trop près. Puis ils font trois fois le tour de la grande
place des Borns, en se frayant un chemin au milieu de la foule toujours aussi énervée.
Je pense que le gin qui est la boisson locale, est l'un des fondements de la
fête. Le gin/limonade est vendu très bon marché dans des bouteilles en
plastique de 1, 2 litres ou 5 litres. La chaleur étouffante, les cris, les
chants et les rires créent une ambiance délirante... Il faut le vivre pour le
croire.
Non loin de là, se déroule
une autre tradition : la bataille de noisettes. La municipalité a livré
dans la rue des gros sacs de noisettes et chacun achète son stock pour les
lancer à tout-va sur ses amis ou sur les piétons. On ne lance pas que des
noisettes ! Des jeunes filles sont soulevées au-dessus des têtes. Les
craquements des noisettes écrasées sous les pas de la foule font une musique
étonnante.
Dia de san Joan, le 24
juin : Ciutadella est devenue une poubelle géante. On marche sur les
bouteilles et les verres en plastique ou les canettes de bière... Toute la
journée les caballeros et leurs chevaux ont parcouru les rues. En retrait du
vieux port, le clou de la fête se prépare sur une place toute en longueur. Dès
17heures, les spectateurs commencent à s'installer à l'endroit qu'ils jugent le
meilleur pour admirer le spectacle. Pour les personnes plus âgées ou plus
prudentes et pour les enfants, la rue qui descend de la petite colline est un
promontoire idéal. En bas, la foule grossit d'heure en heure jusqu'à saturation
de la place. Les équipes de secours, ambulances et la tente des premiers soins
donnent une drôle d'impression. Avec deux heures de retard l'orchestre et les
Officiels prennent enfin place sur les estrades. Il fait déjà nuit.
L'excitation est à son comble. Les cavaliers équipés d'une lance s'élancent au
galop dans la foule et doivent attraper un anneau suspendu à quelques mètres de
haut. Le tambour et la flûte annoncent la charge de chaque cavalier et la foule
s'écarte au dernier moment sur son passage. Certains spectateurs sont bousculés
par les chevaux ou par la foule en délire. Le ballet incessant des secouristes
avec leur civières qui se frayent un chemin à coups de sifflets est un spectacle
dans le spectacle. J'ai compté un blessé toutes les dix minutes. Lorsque le
cavalier a réussi son exploit, la foule hurle, chante, bat des mains et
l'orchestre joue une musique particulière. Lorsqu'il échoue un sombre
« no » fait vibrer toute la place. Une dizaine de cavaliers se
succèdent ainsi trois fois de suite. Puis très tard dans la nuit, c’est le jeu
des “carotas” : les cavaliers galopent par deux. L'un des cavaliers porte un
petit bouclier en bois fin sur lequel est peint la caricature d'un personnage
officiel. Le second cavalier doit lui ravir la carota, la rompre et jeter les
morceaux dans la foule. Quelques spectateurs luttent au corps à corps pour
récupérer un morceau qui a valeur de relique… puis ils se réconcilient.
Surprenant ? C'est la tradition me dit-on. Dans le dernier jeu, les deux
cavaliers galopent côte à côte et doivent se donner l’accolade avant la fin de
la course. La fête s'achève à l'aube après d'autres cavalcades dans les rues de
Ciutadella qui cette nuit encore n’a pu s'endormir.
Le 25 juin, dernier jour,
mais sans les chevaux. Des attractions sont organisées pour les enfants et un
feu d'artifice clôture la San Joan 2011. Pendant ces quelques jours,
Ciutadella, qui compte normalement 30 000 habitants, a accueilli près de 40 000
visiteurs dont majoritairement des Anglais et des Allemands, Minorque étant peu
fréquentée par les touristes Français qui lui préfèrent Majorque ou Ibiza.
Dès le lendemain les
façades n'arborent déjà plus les fanions de la San Joan. Les magasins sont fermés
-siesta oblige qui plus est un dimanche ! -. Les rues ont été entièrement
nettoyées comme par miracle. La ville appartient au promeneur solitaire.
Quelques dernières palissades sur les vitrines rappellent le passage des
chevaux. Seuls mes pas sur les pavés et les mouettes perturbent le silence.
Le culte de la pierre
Ma découverte de Minorque
se poursuit plus calmement. Comme la Bretagne ou le sud de l'Angleterre,
Minorque est marquée par le culte de la pierre. Ses murets qui marquent les
propriétés, mais aussi qui protègent du vent, forment un immense labyrinthe au
travers de l'île. Minorque est un vrai musée en plein air. Dès la Préhistoire,
l’île fut un lieu éminemment sacré comme le rappellent ses 1600 monuments
mégalithiques répertoriés dont les plus anciens remontent à 2000 ans avant
Jésus Christ. Ses 200 “talayots” tours de pierre sans mortier, ses “taulas”
constituées de deux énormes pierres très hautes et placées en forme de T, ainsi
que ses “navetas”, monuments funéraires en forme de nef retournée, – que l’on
ne trouve qu’à Minorque - gardent toujours leur mystère et nourissent de
nombreuses légendes.
Minorque connut une
Histoire tourmentée. Elle fut le point de rencontre des Grecs, des Romains, des
Maures et des Chrétiens. On y trouve des vestiges de villes romaines et de
quelques basiliques paléochrétiennes. Pour les amateurs, tous ces monuments
situés en pleine campagne constituent un véritable circuit.
Et la mer ?
Minorque a réussi – il me
semble - un bon compromis entre des zones balnéaires très concentrées qui sont
indispensables à son économie, et des zones protégées qui sont uniquement
accessibles à pied. A partir de la route nationale qui traverse l'île d'Est en
Ouest, il faut suivre de petites routes goudronnées impraticables pour les cars,
puis des chemins de pierre mal entretenus parfois sur plusieurs kilomètres et
des sentiers côtiers. Enfin l’on découvre une crique comme un trésor bien
caché. Après une heure ou plus de marche, c’est la récompense : un bain dans
une mer cristalline et chaude ! Certaines criques font ainsi le bonheur
des nudistes. Les randonneurs devront y consacrer de nombreuses journées s’ils
veulent faire le tour de l’île.
Il faut prendre aussi le
temps de dénicher de minuscules ports avec leurs barques de pêcheurs ainsi que
de charmants hameaux avec leurs dernières maisons blanches authentiques.
A l'intérieur des terres (à
seulement 5 kilomètres de la mer), les collines abritent des fermes ou de
belles villas isolées qui jouissent de magnifiques panoramas. Le touriste n’a
rien à leur envier puisque du sommet du Mont Toro qui culmine à 358 m, la vue
embrasse toute l’île.
Il est facile d'éviter
toutes les plages touristiques pour ne garder de l'île que cette image de
nature sauvage. Minorque mérite bien son titre de Réserve de la Biosphère. Pour
profiter du climat, tant pour randonner que se baigner - ainsi que de prix
moins élevés ! Les meilleurs mois sont juin et septembre.
Article publié dans Magazine GLOBE-TROTTERS n°140-nov/dec2011 (Association Aventure du Bout du Monde)